Titre : Kaïros
Signature : Collectif Kaïros ( avec Eva Vedel Amélie Samson et Manon Souchet )
Années : 2019-2021
Exposé à :
► Festival Hop Pop Hop, sept. 2022, (Orléans)
► Search bar # 2 – une exposition de l’ECOLAB, dec 2021, Théâtre d’Orléans
► Uncool memories # 5 – tiens ! un design passe, juin 2021, Galerie de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine
► Uncool memories # 2, nov. 2020, Galerie de L’ÉSAD (Orléans)
Kaïros est un des dieux grecs qui représente le temps, il se définit par “moment opportun”, par une “rupture” qui emmène ailleurs. C’est à la fois le concept d’action et de contemplation, c’est également le temps sans chronomètre, le temps subjectif.
Le point de départ de ce projet est un constat sociologique. L’époque moderne nous a rendu esclaves de l’heure, d’un temps mesuré, calculé, fragmenté. Suite à la lecture d’ouvrages d’Hartmut Rosa, nous avons développé un point de vue critique sur la conception de notre temps contemporain : le Chronos. Chronos est le dieu grec du temps objectif, le tic-tac du chronomètre, le temps qui nous fait courir, celui que l’on cherche et qui nous manque. Comment revenir à une perception plus souple d’un temps non-fractionné sans être soumis à cette représentation mathématique ? C’est ainsi qu’a commencé la recherche d’une horloge chaotique, une anti-horloge. Un objet contemplatif en perpétuelle métamorphose qui nous « donne le temps » et nous encourage à se le réapproprier, à entrer en résonance. Un objet qui assume une posture performative, qui résonne avec le milieu et l’utilisateur.
Nous avons commencé par nous intéresser à la capillarité pour représenter le temps par un changement d’état progressif jusqu’à retenir au fil des expérimentation l’idée de créer une vasque que l’on remplit d’eau pour submerger un paysage qui réapparaîtra peu à peu au cours du temps. Le temps de cet objet est incertain : l’eau s’en évapore à différentes vitesses en fonction des caractéristiques externes (humidité, pression, température) et interne par l’absorption du paysage en faïence non émaillé.
Nous avons travaillé avec un algorithme de Lichtenberg qui modélise la propagation de l’eau dans la matière. À chaque itération l’algorithme génère un paysage unique qui est ensuite imprimé en 3D et dont l’empilement des couches successives évoque les strates géologiques. En nous laissant dépasser le code qui prend vie sous nos yeux et crée un paysage, nous sommes devenus nous-même contemplateurs. Nous considérons la donnée comme un matériau, notre rapport à la forme s’inscrit dans la discipline de la data-physicalisation. Ainsi un deuxième algorithme produit la forme de la vasque, à partir de données caractéristiques de la terre utilisée. La forme informe, elle résonne avec le matériau qui résonne à son tour avec le milieu.
Le point de départ de notre projet commun, ou le premier moment Kaïros est un constat sociologique que nous partageons avec l’auteur de Accélération et Aliénation. L’époque moderne nous a rendu esclaves de l’heure, d’un temps mesuré, chiffré, calculé, fragmenté. A partir de la thèse de Hartmut Rosa, nous avons développé un point de vue critique sur la conception de notre temps contemporain : le Chronos. Chronos est le dieu grec du temps objectif. C’est le tic-tac du chronomètre. Le temps qui nous fait courir. Celui que l’on cherche et qui nous manque.
Nous nous sommes demandées comment revenir à une perception plus souple d’un temps non-fractionné ? Comment représenter le temps qui passe sans horloge, sans être soumis à cette représentation mathématique du temps ?
C’est ainsi que nous avons commencé l’aventure d’une recherche ayant pour but de créer une horloge chaotique, une anti-horloge. Un objet contemplatif en perpétuelle métamorphose qui nous “donne le temps” et nous encourage à se le réapproprier, à entrer en résonance.
Notre objectif est de produire un objet qui “donne le temps”. Une horloge réinventée qui encouragerait par son fonctionnement à ralentir, à prendre le temps, et non à à suivre le rythme de la trotteuse. Nous cherchons à créer un objet à contempler, où la perte de contrôle est omniprésente, aussi bien dans son usage que lors de sa fabrication. Dans un contexte post-industriel, nous avons commencé par nous intéresser aux réactions physiquo-chimiques qui jalonnent notre monde et qui permettraient de créer un objet fonctionnant sans apport d’énergie : combustion, oxydation, cristallisation, érosion, concrétion, et pour finir la capillarité… C’est vers cette dernière que notre choix s’est porté, notamment pour son caractère réversible.
Le temps qui passe est ainsi représenté par un changement d’état progressif, l’eau qui peu à peu se propage dans la matière et en change ses caractéristiques. Nous avons donc expérimenté le phénomène de capillarité via différents matériaux.
Plâtre
Bois
Céramique
Lors de nos premières expérimentations autour de la capillarité, nous avons utilisé de la chaux afin de créer un enduit dans lequel une eau colorée puisse se propager. Cette expérience a produit un résultat inattendu, l’encre s’est propagée en créant un paysage semblable à un delta. C’est l’un des points de départ de notre recherche, qui s’appuie sur les notions de paysages et de surprise.
Le principe de la capillarité, couplée à l’utilisation de la céramique, nous permet d’obtenir un objet qui joue avec différentes porosités, occasionnant un changement de couleur partiel et progressif de la matière. L’objectif est de faire apparaître un motif dans l’objet grâce à la diffusion de l’eau dans la matière, en utilisant le principe de capillarité. La céramique est une matière poreuse qui peut se gorger en eau puis sécher, ainsi le motif apparaîtra et disparaîtra de façon illimitée. Les différents paramètres du travail de la céramique (type de terre, cuissons) offrent un large panel de porosités de matière.
L’eau ne se propage que dans les parties poreuses de l’objet, révélant peu à peu un dessin. Ce processus lent, qui révèle un motif invisible induit une contemplation, une fascination vis à vis de l’objet en perpétuelle métamorphose.
Objectif : Faire apparaître un motif seulement lorsque l’objet en céramique est humidifié, le motif doit être invisible lorsque l’objet est sec. Combiner deux types de terres aux porosités différentes, afin de favoriser la capillarité au niveau du motif. Tester la réaction de la céramique travaillée en bi-matériaux.
Hypothèses : Ajouter du papier et / ou du marc de café à la céramique permet d’augmenter sa porosité. En combinant ce mélange à une terre simple, on peut créer des porosités différentes dans une même pièce.
Protocole
Objectif : Trouver une solution au problème de rétractation de la terre de l’expérience précédente. Réussir à combiner deux types de terres aux porosités différentes sans que le motif soit visible.
Hypothèse : Inverser le processus de l’expérience précédente en coulant une barbotine sur un motif en paperclay. Cela permettra de fusionner le motif (en paperclay) à la plaque (en faïence), ainsi de limiter les fissures de la matière au moment du séchage et de la cuisson.
Protocole :
Objectif : Réussir à combiner deux types de terres aux porosités différentes sans que le motif soit visible.
Hypothèse : Enfermer le paperclay entre deux plaques de céramique va permettre d’éviter une trop grosse rétractation de la matière, d’éliminer les fissures, et de rendre le motif invisible après cuisson.
Protocole :
Le motif qui se révèle dans la céramique au fil du temps s’inspire des paysages générés par des fluides dans la nature. Notre volonté est de générer un dessin numériquement, grâce à un code incluant une grande partie de hasard (random), que l’on met en marche sans contrôler l’évolution. Nous cherchons par l’outil qu’est le code à perdre le contrôle sur la création. En nous laissant dépasser par notre algorithme, qui prend vie sous nos yeux et crée notre paysage, nous devenons nous-même contemplateurs.
Dans un premier temps, nous avons utilisé Processing. Notre code utilise les figures de Lichtenberg, apparaissant lors du passage d’un courant électrique dans un matériau, qui dépendent de la résistance électrique de celui-ci. Les cours d’eau suivent aussi ce type de fractales. Merci au labomedia d’Orléans, pour nous avoir aidé à créer ce code, dont toutes les ressources sont disponibles ICI en Open source.
Au bout d’un certain temps, nous avons décidé de quitter Processing et de passer par le logiciel Blender. Ce fut un gros tournant dans notre recherche. Nous avons quitté cette logique de plaques et de motifs, pour aller vers un vrai paysage 3D. La révélation s’inverse. À la place de faire apparaître un simple motif 2D sur une plaque en céramique, c’est tout un paysage qui se révèle.
Ce logiciel nous permet de créer directement des fichiers imprimables en 3D, tout en étant un outil adapté au design génératif. Nous avons donc téléchargé des add-ons, du code python et suivi divers tutoriels afin de créer un algorithme correspondant à nos besoins, toujours basé sur les motifs de Lichtenberg.
Merci à Marek Zarolinski de l’atelier 2D/3D de l’ESAD Orléans, pour nous avoir accompagnées sur la modélisation et les rendus de ce projet.
Après avoir généré un “arbre” de Lichtenberg sur blender, nous en avons réalisé des rendus en noir et blancs. Ces rendus ont ensuite été ré-exploités comme des cartographies permettant de produire des heightmap ( élévations ) qui génèrent des paysages. Les points les plus blancs de l’image sont donc considérés comme les points les plus hauts du paysage et les points les plus foncés comme les plus bas.
Le passage à la 3D nous a ouvert de nouvelles possibilités techniques : l’utilisation de l’imprimante 3D céramique. Cette technique de fabrication additive fait sens avec notre projet sur plusieurs points. À chaque itération l’algorithme génère un nouveau paysage, ainsi chaque pièce produite est unique. C’est pour cette raison que nous avons retenu un procédé de fabrication additive, car l’imprimante 3D dispense la fabrication d’un moule pour chaque tirage. De plus, ce procédé permet de passer facilement de la modélisation 3D à la fabrication, en restant dans la même logique de co-création numérique. L’empilement des couches successives évoque également les strates géologiques, ce qui renvoie à la question du paysage qui nous anime depuis les débuts du projet. L’imprimante 3D céramique fabrique des objets avec différentes terres, nous utilisons ici de la faïence rouge qui reste poreuse après cuisson.
Avant d’utiliser la céramique nous avons dans un premier temps utilisé l’imprimante 3D plastique afin de produire des maquettes blanches en PLA et se rendre compte des échelles à partir de ces échantillons de paysage.
Nous ne pouvions pas dessiner une forme de vasque arbitraire après un protocole aussi scientifique. Notre rapport à la forme s’inscrit dans la discipline de la data-physicalisation. En tant que designers, nous considérons la donnée comme un matériau. Nous avons donc créé un nouveau protocole pour générer la forme de la vasque.
Un code nous donne la forme de la vasque grâce à un diagramme défini en fonction des paramètres de la terre utilisée : la chamotte, la densité de le lieu d’extraction. Ces paramètres influencent directement l’évaporation de l’eau qui aura lieu dans la vasque lorsque l’on émergera le paysage et donc la durée de performance de l’objet et la relation que l’on peut établir avec lui.
Un moule en bois de la vasque correspondant à un type de terre particulier est donc produit grâce à l’utilisation d’une fraiseuse à commande numérique. La vasque est ensuite estampée puis démoulée.
Nous souhaitions inclure dans la forme de la vasque les données de la terre car ces données vont influencer l’évaporation de l’eau, et donc la durée de performance de l’objet. Ainsi, la forme informe. Elle résonne avec le matériaux et le matériaux résonne avec le milieu. Il assume la posture performative, c’est-à-dire en réaction avec son environnement.
L’objet interagit avec son milieu. En effet, le temps de cet objet est incertain : l’eau s’en évapore à différentes vitesses en fonction des caractéristiques externes comme l’humidité, la pression ou la température. Cette évaporation vient ainsi changer l’aspect de l’objet, le paysage immergé se révèle peu à peu, la faïence gorgée d’eau sèche petit à petit et de légers dépôts de calcaire viennent se loger dans les strates.
Nous générons le paysage en faisant tourner notre premier algorithme qui produit le paysage de Lichtenberg dans Blender. Mais cette fois ci nous utilisons la forme unique obtenue en fonction des données caractéristiques de la terre utilisée pour que l’algorithme développe une forme en fonction des parois de la future vasque. Le paysage est ensuite imprimé en 3D en plusieurs morceaux à cause des contraintes dimensionnelles de la machine que nous utilisons. Pour finir, celui ci est assemblé avec la vasque, l’objet obtenu biscuité puis émaillé dans le fond. Ainsi, lorsque l’on verse l’eau dans la vasque jusqu’à immerger le paysage, elle ne peut se propager directement dans les parois mais s’évapore lentement tout en étant petit à petit absorbée par le paysage qui émerge peu à peu.